Faux Rhum Le Faux Rhum Faux Rhum  

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Closing Time  
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Miltiades
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Posté le 21/08/2015 à 03:01:01 

Night terrors
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Quelques semaines auparavant.


Une porte qui s'ouvre violemment, propulsée par une botte ferrée.

Trois soudards qui s'engouffrent dans la pièce de vie d'une modeste chaumière.

Un jeune homme au teint clair, presqu'encore adolescent, empoigné et traîné brutalement à l'extérieur ; les cris paniqués de sa compagne, jouvencelle à la peau mordorée, longs cheveux noirs et yeux en amande.

D'autres cris, encore des cris. Une odeur de cochon grillé. Toujours des cris.


Le vieux ouvrit brusquement les yeux, main déjà crispée sur sa canne, prêt à frapper au genou. Personne. Un brusque coup d'oeil alentours, pour évaluer la situation : rien à signaler. Soupir. Puis grognement. Foutu cauchemar. Foutue connasse.

Comme à chaque fois, il se retrouve poisseux, trempé de sueur ; le coeur battant à tout rompre, du sang dans les yeux, les tempes prêtes à exploser. Envie de cogner. Les multiples murmures obsédants encore plein les esgourdes ; impossible d'entendre quoi que ce fût d'autre, impossible de se focaliser sur autre chose. Devant lui, derrière ; cerné, putain. Des ombres mouvantes captées du coin de l'oeil. Son imagination ?

Troisième fois cette nuit. Elle fait fort. Connasse. Foutue putain de connasse.

Le pirate se lève ; de toute façon, incapable de fermer l'oeil à nouveau. La lune cendreuse est encore haute, projetant son éclat blâfard. Pas de jour à l'horizon. Pas avant un bon moment. Qu'importe.

Arrivé au cercle du ponton sud, il shoote gratuitement dans un tabouret, réveillant la maisonnée. Ca défoule, et y'a pas de raison que les autres pioncent alors qu'il n'y arrive pas. Il lui faut du rhum. Et tout de suite.

Miltiades
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Posté le 23/08/2015 à 21:00:17. Dernière édition le 06/12/2018 à 02:25:57 

The sound of drums
[ sfx : https://www.youtube.com/watch?v=1FJmiyFD6PM ]


une dizaine de jours auparavant.


Des putains de tambours. Des dizaines de putains de tambours qui lui battent aux tempes, inlassablement. Une tête genre fruit bien mûr, comme si le moindre choc allait la faire exploser en morceaux.

Miltiades traverse le repaire, des piaules jusqu'au cercle ; il grimace, il jure. La douleur est sourde, puissante ; elle emplit ses sens. Chaque jour, de mal en pis. Bordel. Une seule hâte à ce stade : une bonne gnôle pour faire passer ça. Et quelques autres pour aller mieux, pour retrouver la forme. Ensuite, la journée pourrait commencer.

Il s'en souviens bien, des derniers combats. Il y avait de cela pourtant plus de deux mois déjà. Les cris, le sang, les larmes.

Il y était dans son élément, pour sûr. Des corps s'abattaient sous ses coups, des hommes prenaient feu non loin. Et lui survivait, surnageait dans les mares de fluides qui l'environnaient. Survivant.

C'est le bon terme, ça : un survivant. Plus fort, plus agile, plus fourbe que les autres. Une longue vie, pas entièrement consacrée aux combats, mais pas loin. La charpente, l'Inquisition, la Couronne. Espéranza. La Confrérie. Ca l'avait forgé, que ce soit au niveau physique ou au niveau mental. Un mur. Une pleine barre d'acier trempé.

Mais cette fois-ci, il avait remarqué l'élément perturbateur dans la mécanique bien huilée, le détail qu'on touchait souvent du doigt sans pouvoir l'appréhender pleinement. Et cette fois-ci, c'était à pleine main qu'il l'avait saisi, le détail ; comme s'il l'avait rendu intensément réel par le simple fait de s'en rendre compte.

Même l'acier casse.


Depuis quelques temps, il lui manque le petit quelque chose qui sépare la possibilité de l'aisance. Il frappe toujours, mais un peu moins fort ; il touche toujours, mais moins juste. Il n'y a que sa sournoiserie qui ne pâtit pas ; un salaud reste un salaud à tout jamais. Mais, même sa légendaire hargne semble s'être émoussée.

Il n'y avait qu'à voir ses derniers duels contre cette sale gueule cassée de Turb. La casquette moisie, sentant la gnôle à cent pas. Enfin, c'est ce que les autres disaient. Miltiades n'avait jamais trouvé grand chose à redire à l'odeur, sauf lorsqu'il gerbait dans les géraniums.

Ca, ouais ; il y a quelques temps, c'était coup pour coup qu'ils se rendaient. On n'aurait pas été jusqu'à les dire adroits, mais lui comme l'hollandais frappaient fort, très fort. De quoi fendre le comptoir en deux, ou la caboche du voisin. Cognez-vous les uns les autres, c'était leur credo.

Mais lors des derniers combats... Bah, tous deux avaient toujours l'habileté d'un goret cherchant un épi de maïs dans un magasin de porcelaine, c'est sûr ; mais le vieux pirate s'était senti... Un cran en dessous.

Il finaudait et parvenait à pourrir son alter ego à grand renfort de vicieusetés et de fioles à feu, mais niveau force brute, il était descendu d'une marche ; il avait cédé l'égalité pour se retrouver véritablement un tour de roue en retard.

Alors que même son fameux coup au genou n'avait qu'à peine fait vaciller le capitaine de soirée, pourtant déjà ivre ; ce dernier manqua lui briser les os en lui retournant une mandale façon attendrissage de vieille carne durcie.

Il lui avait fait mal, c'est sûr. Mais pas tant physiquement que mentalement. Ca avait brisé un élément. Il avait été maîtrisé. Le moral était grêvé irrémédiablement.


En attendant que la gnôle fasse effet, le concert de tambours continue à résonner dans ses tempes. Il serre les poings ; il n'était pas décrépi, pas encore. Juste le démarrage qui devient dur. Ensuite, ça va mieux. Ensuite, il est d'attaque comme à l'habitude, pour fracasser des crânes, briser des genoux, éclater des noyaux.

Mais rien que ce retard à l'allumage, léger mais récurrent, en annonce plus. Trop. La suite logique pousse le portillon, et Miltiades n'aimait pas cela. La vie rude de pirate, le repos impossible depuis tant d'années à cause de l'autre connasse. Tout se paie, un jour ou l'autre. L'ardoise s'alourdit. Le grand Taulier, là haut, décidera un jour ou l'autre de solder les comptes. C'est ainsi.

Accoudé au comptoir, le troisième rhum envoyé, le constat était amer. Limpide comme une gnôle à 90, mais amer.

Aujourd'hui, il allait devoir réfléchir. Il y a des décisions à prendre. S'organiser. Il reste des choses à faire, la petite pisseuse le lui avait fait prendre conscience malgré elle.


Une dette à honorer.
Miltiades
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Posté le 28/08/2015 à 17:56:49 

The parting of the ways
[ sfx: http://www.4shared.com/web/embed/audio/file/tMfbb4yQba ]


Quelques jours auparavant.


Debout au comptoir du Cercle, le vieux Miltiades songeait.

Il songeait, comme à son habitude, à ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera. Et, pour une fois, à ce qui aurait pu.

Dans sa main, son bandeau reposait, secoué comme dans les grandes épopées par une invisible brise, annonciatrice d'un choix important. Sauf qu'évidemment, ici foin de roman miévreux. Le vieux tremblait.

Tremblait face à un destin incertain. Face à un choix sans retour. Face à un avenir enténébré.

Il ricana, d'un rire jaune, pas vraiment joyeux, plus par habitude que par envie. Se disant que peut-être quelque part sur l'île, quelqu'un ressentait ses peurs. Un futile réflexe de fierté rafermit sa volonté, masquant toute sensation de doute qui pouvait encore l'assaillir. Pour sûr, il ne lui ferait pas ce plaisir.

Personne de levé, encore. Elma, qui tenait le cercle, avait fini par le laisser se démerder avec la gnôle, lors de ses crises nocturnes. Déjà la moitié du tonnelet ingurgité, mais le vieux se resservit une bonne lampée, chancelant sous l'effet de la quantité d'alcool.

Une pensée, un flash, un souvenir. Brillant, brûlant, douloureux. C'est ce qu'il suffît pour que le vieux se décide.

Il jeta rageusement son bandeau sur le comptoir, et s'envoya d'un trait ce qu'il venait de se resservir. Puis, comme pris de remords, il arrangea le bout de tissu soigneusement sur le tablier du bar, l'étalant proprement sur le bois collant. Il sortit ensuite une dague et la planta dans le bois, transperçant le chiffon. Gris sur noir, du pareil au même à la chiche lueur de la bougie, si ce n'était l'éclat terni du fer usé.


Son barda sur l'épaule, le vieux s'en alla sans plus un regard, sans bruit, sans fanfare. Ses frères comprendraient, il le savait. Le vieux sanglier quitte la harde, l'heure venue. Et ça faisait déjà depuis un long moment, qu'il était là sans vraiment en être. Miltiades gloussa amèrement, une pensée cocasse lui ayant traversé la caboche.

"Un fantôme, ouais. Ironique, pas vrai la connasse ?"

Personne ne lui répondit.


Il avait fait ce qu'il avait à faire, avant de sauter par dessus bord. La Chimère n'était certainement pas à la dérive, et des mains sûres la barraient droit. Les nouveaux mousses tenaient la marée, les anciens savaient naviguer. La relève était en maturation. Plus besoin du vieux salaud.

Quant à lui, un nouveau cap l'attendait. Arrivé dans la jungle entourant le repaire, il leva les yeux vers sa destination, camouflée d'un chapelet de nuages au plus fort de la nuit.

Miltiades
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Posté le 31/08/2015 à 11:21:08. Dernière édition le 06/12/2018 à 02:26:19 

Blink
[ sfx : https://www.youtube.com/watch?v=p0YAlMPxobo ]


Quelques heures auparavant.


Miltiades avançait difficilement dans les couloirs antiques, environné des chuchotements incessants des esprits hantant les lieux. Autant ceux-ci se contentaient de déranger par moment les autres corsaires, aurant ils se focalisaient sur le pirate, le harcelant jour et nuit, nuit et jour, sans repos lui laisser.

Mais celui-ci était déjà habitué, car ce n'était pas la première fois qu'il s'aventurait en ces lieux impies ; c'était même une de ses destinations de prédilection sur cette île, de part sa... proximité avec les esprits. Il faut dire que depuis longtemps il y cherchait quelque chose, ou peut-être quelqu'un ; et de fait s'y rendait dès qu'il avait quelques jours devant lui.

Tous ces esprits, se disait-il... Ils devaient bien provenir de quelque part. Et après de longues années de recherche, le vieux pirate se rapprochait du but. Ou tout du moins s'en figurait-il.

Le flot incessant de spectres tourmenteurs avait un sens, et ce sens il pouvait le remonter. Aussi difficile sa progression sera, autant il se rapprochera de la source. Il n'y avait qu'à suivre le fil...

Alors qu'il descendait aux souterrains, sabrant de sa canne l'air autour de lui, il pouvait passer pour fou à lier ; mais qui pouvait vraiment comprendre ce qu'il endurait ? Toutes ces années sans sommeil, ou à peine ? Toutes ces nuits où il se réveillait, hagard, le coeur près à éclater dans sa poitrine, les yeux injectés de sang ? Tous ces instants où, lors qu'il clignait des yeux, une ombre armée d'un couteau apparaissait aux recoins de son champ de vision, prête à lui porter un coup fatal ?

Ces esprits invisibles, pourtant omniprésents, le poussaient jusqu'en ses dernières limites. Ces spectres, vite oubliés par quiconque, sauf par lui car s'accrochant à ses pas, le dévoraient peu à peu. Ils dévoraient sa conscience, sa raison, patiemment - ceux qui sont morts ne sont jamais pressés, ils ont l'éternité devant eux - et tout cela, par la faute d'une seule personne...


"Grmf. Connasse."


À bout de forces, ayant été plus loin que jamais dans les entrailles oubliées du temple, le pirate posa genou à terre, à bout de forces. Autour de lui, l'architecture Maya étalait sa magnificence, intacte après tant de siècles abandonnée, sauf pour une occasionnelle faille, émergeant du sol, comme par exemple celle qui se présentait face à lui. Une faille... Une faille... Si étrange. Elle était profonde... Elle semblait...


Immobile dans ce couloir qui lui semblait soudain glacé, le vieux pirate déglutit.
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Posté le 01/09/2015 à 10:59:52 

Journey's End
[ sfx : http://www.4shared.com/web/embed/audio/file/YgJXAb3bce ]


Miltiades inspecta son barda : quelques fioles incendiaires. Un paquet de viande séchée. Un bon nombre de bouteilles de rhum. Plus quelques unes de lagout, pour remplacer celui des trois qui viendrait à manquer en premier. Avec sa canne, le compte y était.

Une dernière affaire à régler... Une vieille dette à payer. Et si le vieux moine avait bien une chose en horreur, c'était de devoir quelque chose à quelqu'un, quand bien même ce serait des mandales.


Immobile dans l'obscurité des souterrains du temple, il contemplait la faille ouverte dans le sol. Un gouffre étroit, pente raide presque verticale, plongeant jusqu'on ne sait où. Un aller simple, pour sûr. Et sans garantie quant à l'arrivée.

Mais, au fond de cette ouverture directe vers les entrailles de la terre... Le vieux n'avait plus aucun doute. Quel que fût son nom : le monde souterrain, tant craint par les mayas, ou l'au-delà des chrétiens, ou le royaume des morts tout simplement... Qu'importait, au fond ; c'était de là que s'échappaient les esprits et spectres hantant ces lieux, et c'était tout ce qui lui importait. Car cela voulait dire...

Miltiades grogna, cherchant la colère pour se donner du courage, puis se glissa dans le boyau tortueux.


La faille était étroite, et le vieux se rapa salement lors de la descente. Des arêtes de pierre lui labourèrent le dos, déchirant à moitié sa chemise, meurtrissant ses chairs jusqu'au sang. Après un temps qui lui paru foutrement long, la pente paru s'atténuer, et il pu stopper sa descente folle.

Gromellant dans le noir, il sorti sa lanterne, et gratta son briquet pour l'allumer. La chiche lumière révêla un couloir naturel, étroit et torturé, que le pirate s'empressa de suivre.

Il marcha longtemps dans la quasi-obscurité, si longtemps qu'il perdit toute notion du temps ou de l'espace. Sa réserve de pétrole s'épuisa, et c'est à tâtons qu'il continua le périple. Les murmures vengeurs emplissaient ses oreilles avec plus de puissance qu'un typhon, achevant de brouiller la frontière entre songe et réalité. Plus une pensée rationnelle dans la calebasse, seul restait un impératif : avancer, encore et toujours, un pied devant l'autre. Il ne savait plus pourquoi, à peine comment, mais il savait que c'est ce qu'il devait faire. Parcourir le chemin, alors même qu'il a oublié quel en était le but.

Après un temps interminable, Miltiades finit par distinguer - imaginer ? - une pâle lueur, écho fâlot de ce que pourrait être une vraie lumière. Il se hâta en sa direction, et découvrit rapidement face à lui un voile translucide, émettant une lumière verdâtre, fade et terne.

Le voile ondulait souplement, comme battu par une brise éthérée ; la portion du boyau souterrain que l'on pouvait voir derrière semblait... différente ; de quelle manière, le vieux n'arrivait pas à le définir, mais indubitablement différente.

D'un autre monde.


Derrière ce voile, se mouvaient des ombres, des formes, à peine discernables au travers du rideau surnaturel ; rôdant à la lisière de leur royaume, lorgnant avec avidité de l'autre côté de la barrière.

Miltiades s'arrêta, un moment dérouté par le spectacle irréel offert à ses yeux. Puis il se redressa, fit craquer ses cervicales, et murmura pour lui-même :

"This is it... Isn't it?"


Comme à son habitude, et comme ce qu'il enseignait à ses fillots, le vieux prit un instant pour contempler où il était, d'où il venait, et vers où il allait.

Il était à la frontière, en un endroit où les fondamentaux même disparaissent. Il n'était sans doute pas encore mort, mais peut-être déjà plus tout à fait vivant.

Il venait de son avenir, ou plus exactement, de là où il aurait pu en avoir un. Possibilités, lignes de vie, probabilités... Incertitude, chaos.

Il allait... vers le figé, vers le passé - pour le passé. En ce lieu où le temps n'a plus court, où il n'a plus sens. Une dette : un seul chemin, un seul versement. Aller simple. Grâce à ce passage entre les mondes, de l'autre côté du voile. De lui-même. En adéquation avec son sens de la stratégie : toujours avoir l'initiative. L'inattendu.


Miltiades pourrait retrouver sa femme, et régler cette dette de manière définitive.

Le vieux soupesa sa canne, comme pour s'assurer qu'elle serait suffisamment lourde, qu'elle serait à la hauteur.


Puis il traversa.


Miltiades
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Posté le 26/01/2016 à 03:40:57. Dernière édition le 03/08/2020 à 13:01:14 


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Année 1687.


"Anxo !"

Il ouvrit brusquement les yeux.


Une choppe de bière emplissait son champ de vision, tanguant mollement de droite à gauche, au point de déborder légèrement.

Il se redressa, secouant la tête pour s'éclaicir les idées. Où... ? Il se souvenait à présent. Les ténèbres, un noir insondable ; un tunnel, se remémorrait-il. Il y avait des parois, oui. De la pierre brute. Le froid. Le noir. La peur...

Un frisson désagréable descendit le long de sa colonne vertébrale. Quelle était cette sensation persistente, déplaisante, qui lui criait qu'il n'était pas à sa place ? qui lui hurlait qu'il était perdu, égaré dans les limbes ?

Les brumes du néant flottaient paresseusement devant ses yeux, obscurcissant sa vue, ouatant son ouïe. Il se sentit, vaguement, comme à travers un gant matelassé, aggripé à quelque chose. Une table ?

Le cul de la choppe s'abattit lourdement devant lui, tandis que son pourvoyeur s'éloignait déjà.


La scène qui se déroulait devant ses yeux lui était surréaliste. Nombre d'ombres mouvantes se mouvaient devant des torchères, éclipsant couramment leur éclat et leur chaleur, alors que son dos était mordu par le froid d'une nuit humide des montagnes ; le bourdonnement dans ses oreilles s'éclaircit peu à peu en un brouhaha dominé par une bourrée rythmée, accompagnée du claquement des talons sur l'estrade.

Hagard, il regarda autour de lui, et contempla le banquet en plein air auquel il semblait être convié. Toute la population du village devait être rassemblée pour cette nuit, et c'est par dizaines de dizaines que des groupes dansaient, discutaient, riaient et buvaient.

Toujours entre rêve et réalité, il trouva la bière devant ses yeux de plus en plus tentante. Ce n'est qu'après l'avoir lampée à moitié qu'il se sentit vraiment réveillé.


Il n'avait qu'à peine entamé son tranchoir tant il était exténué - à peine assis, il s'était assoupi sur sa chaise. Les beaux jours défilant et l'automne arrivant à grands pas, il lui fallait travailler d'arrache-pied pour finir chantiers et rénovations en cours, et jour après jour ce travail harassant prenait son dû.


Relevant les yeux, il observa la foule autour de lui. Comme cela ne faisait que peu de temps qu'il s'était installé ici, il ne connaissait en définitive quasiment personne. Quelques visages ressortirent fugacement de l'affluence, souvent sans même un nom associé ; mais l'immense majorité ne lui disait absolument rien. Quelques-uns cependant lui adressèrent un signe de tête, de main ou de choppe, qu'il retournait généralement par politesse en se fustigeant car il n'avait aucun souvenir de qui cela pouvait être.

Bah ! Il aura bien le temps d'apprendre les noms de chacun. Il se sentait bien ici, et les gens avaient besoin de ses services.


L'esprit détaché, il laissa son regard errer sur les danseurs, admirant ceux qui se mouvaient avec grâce, souriant sans malice de ceux qui ne dansaient au final pas bien mieux que lui. Et une flamme sombre capta peu à peu son attention ; une jeune fille aux cheveux noir de jais, magnifique dans sa robe or et carmin. Elle dansait bien, tournant avec légèreté, faisant tourbillonner les rubans dorés qui contrastaient sur la noirceur de sa crinière.

Il lui fallu un certain temps, épais qu'il était, pour se rendre compte qu'elle lui jetait constamment des regards à la dérobée, tout en continuant à danser sans faux-pas ; ses yeux sombres pétillaient de malice, et lui faisaient penser à deux étoiles brillantes dans la semi-pénombre environnante.

Masquant son trouble au fond de sa choppe, il farfouilla dans ses souvenirs sans la quitter des yeux. Elle lui disait vaguement quelque chose... Oui, la fille des tisserands. Pas étonnant qu'elle aie une si belle robe. Comment s'appellait-elle, déjà ? ...

"Hafsa."

Il sursauta et se tourna vers le vieux qui venait de parler, assis juste à côté de lui ; celui-ci le dévisageait tranquillement, un sourire étalé sur sa vieille face édentée. Il éclata ensuite de rire, sans doute en voyant son air ahuri.

"Elle s'appelle Hafsa, p'tit gars. Difficile de pas d'viner à quoi tu penses, t'as la binette plus expressive qu'un veau qui vagit ! Haha !"

Il rougit et s'encogna dans sa chaise pour dévisager sa bière, en maugréant une onomatopée suffisamment indistincte pour pouvoir passer pour un "bof", ou un "merci", voir un "mêle toi de ton cul, vieux barré". Le commentaire paru cependant satisfaire son voisin, qui s'en retourna également à sa boisson.


Haussant les épaules, il releva sa choppe pour lamper un peu plus du breuvage sombre et amer, songeant à ce rêve qu'il savait avoir été étrange, mais dont il ne parvenait à présent plus à se rappeller ; et c'est lorsque ses lèvres se posèrent sur le bord du récipient, perdu dans ses méninges, qu'il recroisa le regard sombre de la jeune fille et qu'il la vit très distinctement lui adresser une oeillade sans équivoque.

Il avala de travers puis renversa ce qui lui restait de bière alors que, toussant et crachant, il tentait de reprendre son souffle.

À ses oreilles tintèrent le carillon d'un rire cristallin.
Miltiades
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Posté le 21/01/2017 à 02:16:22. Dernière édition le 03/08/2020 à 13:01:56 

[ sfx : https://www.youtube.com/watch?v=KIbIIfQAdM0 ]


Année 1692.


Le liquide glacé dégoulinant de son menton sur son torse déchira à peine le voile carmin posé devant ses yeux.

Il se contracta par pur instinct, ce qui allait suivre étant gravé dans sa chair depuis si longtemps déjà. Les coups puissants s'abattirent sur lui, percutant ses côtes, ses bras, son dos. Son corps persécuté n'envoyait plus d'information cohérente, seule la douleur persistait.

Il reprit ses esprits écroulé sur le sol froid et pierreux. Un râle souffreteux peinait à transparaître à travers l'ouate dans ses oreilles.

Une nouvelle averse d'eau glacée heurta sa peau fiévreuse. Il leva la tête à temps pour voir le bâton atterrir devant lui, et rouler à sa portée. Son bourreau l'observait, rictus aux lèvres, seau à la main.

"Debout, chien ! Tu sais ce que tu as à faire. Si tu n'es pas sorti d'ici deux minutes, tu ne reverras jamais le jour, et l'enfer te paraitra une délivrance."

Sans un mot de plus, l'homme se détourna et le laissa seul dans la cave.


Forçant sur ses bras faibles, aiguillé par le sentiment d'urgence, il parvint à se redresser à genoux. Un reflet fugitif dans la flaque d'eau entre ses bras lui renvoya l'image d'un fantôme : corps décharné, air hâve, yeux brillants de fièvre, engoncés dans des orbites cerclées par la faiblesse et la maladie. Les nombreuses plaies et blessures qu'il arborait étaient infectées, purulentes. Depuis combien de temps ?

Survit !

Ce mot d'ordre marqua son esprit vagabond aussi durement que le fer rougi avait marqué ses chairs. Péniblement, il se remit debout, ramassant le bâton, et tituba vers la lumière aveuglante. Il serra la main à s'en faire blanchir les phalanges - la dernière fois, il avait lâché son arme sans s'en rendre compte, et avait dû faire sans. Cela avait failli causer sa perte.

Une ombre semblait ramper le long du mur, à côté de lui. La sienne ? Il s'arrêta un instant, interdit. Pourquoi était-il ici ? Il se remémorait une paroi rocheuse, de... une... Il s'ébroua pour tenter désespérement d'ordonner ses pensées confuses. En vain. Il se souvint seulement qu'il devait sortir au plus vite, et se remis en marche.


Combien de fois avait-il déjà vécu ce cauchemar sans fin ? La lumière du soleil, aveuglante, le força à s'arrêter peu avant le seuil, là où il se savait en relative sécurité. Dehors, les hommes bruyants commentaient déjà le spectacle à venir. plusieurs paires d'yeux détaillaient son corps, et du butin fraichement gagné changeait de mains au fur et à mesure que les paris se construisaient.

Face à lui, quelques mètres plus loin, deux hommes étaient maintenus de force à terre.

Il parcouru l'assemblée pour trouver son bourreau, et se heurta à son sourire cruel. Son air ahuri et désespéré avait du parler pour lui, car l'homme éclata de rire.

"Il semblerait qu'un homme seul ne puisse t'abattre, chien. Alors, je me suis demandé si deux y arriveraient.

Dix. Neuf. Huit..."

Paniqué, il serra plus fort la main droite et sentit le bois solide presser sa paume. Ouf...

Il fit deux pas de plus et franchit le seuil étroit.


Les deux hommes face à lui furent aussitôt laissés libres. Décontenancés au début, ils - des frères, visiblement, ou des cousins - s'entre-regardèrent, puis reportèrent leur attention sur lui. Avant de s'avancer lentement, et de ramasser chacun un bâton commodément placé dans l'herbe devant eux.

Leur figures tendues, leurs yeux durs, les frères se redressèrent et s'avancèrent précautionneusement. Nul besoin d'être un étudiant pour comprendre ce que le sadique leur avait promis.

L'un après l'autre, ils s'élançèrent.

Comme à chaque fois, la rage, le désespoir, le submergèrent, et obstruèrent ses sens. Il ne ressenti plus la douleur, ne ressentit plus d'émotions ; seul existait ce bâton lourd dans ses mains écharpées, seuls importaient ces deux obstacles à sa survie immédiate. Il bondit en avant à son tour, entendant vaguement son hurlement inhumain s'élever sur le village encore la proie des flammes.




Il s'affala non loin du dernier adversaire, peu de temps après lui avoir transformé le visage en bouillie pulpeuse. Le premier des frères a être tombé gîsait plus loin, respirant et geignant encore... mais plus pour longtemps.

Utilisant ses dernières forces, il roula sur le dos, haletant. Ses poumons étaient en feu, et des quintes de toux rauques le secouaient spasmodiquement. L'éclat du soleil décrût soudain alors que son bourreau se penchait sur lui.

"Bravo, chien. Tu m'amuses beaucoup. Peut-être pour toi devrais-je prévoir trois ou quatre camarades de jeux, la prochaine fois."

Aussi brusquement qu'il avait disparu, le soleil ardent resplendit à nouveau. Il plongea son regard dedans, avide d'absorber un peu de lumière avant de retrouver l'obscurité d'une cave, d'une geôle, voire d'un bahut.

L'horizon disparu lentement, dévorée par l'éclat absolu de l'astre du jour.
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Posté le 03/12/2018 à 02:06:20. Dernière édition le 03/08/2020 à 13:02:29 

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Année 1695.


L'éclat du soleil décrut progressivement, et il pu à nouveau distinguer son environnement. Une nouvelle chape de nuages. Pays de merde ! Il ne se souvenait même plus où il était. Mais c'était définitivement un pays de merde. De la pluie, tout le temps.

Il redescendit son regard. Autour de lui, les hommes attendaient également, accroupis dans les bruyères. Les paris couraient à nouveau sur lui - toujours de plus en plus saugrenus. Las de devoir compter pour pouvoir miser sur un nombre d'ennemis abattus, ils avaient choisi comme enjeu à présent la mise à mort la plus spectaculaire.

Ses yeux se portèrent dans la direction où l'autre était parti, vers l'orée de la zone boisée où ils s'étaient placés. Machinalement, il raffermit sa prise sur le bois de son bec de corbin, le métal cliquetant autour de son poing. Un pistolet était également passé à sa ceinture ; mais pour ce qu'il s'en servait, ça aurait pu aussi bien être une matraque.

L'espace d'un fugace instant, un sourire malsain fleurit sur ses lèvres craquelées par le froid et l'alcool, brisant son expression stoïque coutumière ; bientôt, il sera vivant. Qu'importait la manière, tant que le monstre ruant déjà au fond de son esprit recevait de quoi sustenter sa faim. Les bruits étouffés leur provenant d'en contrebas n'aidaient pas en ce sens : tirs, chocs, cris, râles. Le monstre s'impatientait.


Enfin, Enfin ! Le Prédicateur revint. L'atmosphère changea instantanément ; ce fut la fin des chuchotements, des sourires bravaches - les visages se durcirent et les volontés se rafermirent. Tous les yeux suivirent son déplacement félin, presque gracieux. Et ce faisant, la confiance, voir la dévotion se lisaient dans les prunelles des soldats ; l'homme dégageait une telle aura de sérénité absolue ; sûr de lui, invincible.

Sans même un regard pour ses ouailles, le Prédicateur s'agenouilla face à son plus fidèle fanatique, face contre face, pour lui chuchoter son prêche. Son visage était quelconque, sale, et sa tignasse formait de grosse mèches collées par la sueur. Son haleine était rance, difficile à supporter. Mais, ses yeux ! Ils le pénétraient jusqu'au fond de son âme, le dépouillaient et le mettaient à nu. Ils brillaient d'un éclat insensé, comme seuls peuvent l'apporter la fièvre, la folie et le génie.

"Ézéchiel, mon prophète inflexible, mon bras vengeur ! J'ai besoin de toi aujourd'hui encore.

À nouveau, il nous faut faire Sa volonté ! Sa parole nous guide. Montre nous ceux qui sont marqués ! Qu'ils tombent, pour notre salut !

Va !"

Aussitôt alors, le désigné prophète se leva, et alla - sentant le regard du Prédicateur sur son dos. Il n'avait cure des conneries que l'autre lui débitait. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il venait de lui donner l'autorisation d'épancher sa soif.

Lorsqu'il sortit du couvert des bois, la fureur envahit entièrement son esprit, bien avant que les bruits de la bataille en cours ne lui parviennent distinctement aux oreilles. Derrière lui, toute la troupe s'était également mise en branle. Et c'est précisément pour cela que le Prédicateur l'utilisait : un homme sans peur aucune était nécessaire, pour entraîner d'autres vers la mort.

Il força l'allure et partit au pas de course, descendant à une allure dangeureuse la pente menant vers le fond de la vallée ; là où les troupes de deux contingents étaient aux prises. S'il n'était pas déjà aveuglé par la rage, il aurait pu remarquer encore une fois la stratégie parfaite du Prédicateur, qui avait attendu le moment le plus propice pour entrer en action. Les mercenaires allaient porter un fameux coup de boutoir à leurs adversaires du jour, et arracher la victoire à coup sûr pour leur employeur.

Il n'arriva plus à se contenir, et laissa échapper un rire tonitruant, dément, tout en continuant à dévaler la pente à toute vitesse - rire bientôt suivi puis couvert par la clameur des hommes à ses trousses. Des tirs commencèrent à fuser vers les troupes en bas ; il pu voir un homme touché à la tête faire une pirouette en tombant, aspergeant de sang ceux alentours.

Il se mit à rire de plus belle, et acceléra encore.



L'escarmouche fût rapidement terminée, l'issue sans suspense. La troupe du Prédicateur se trouva ensuite occupée à récolter un petit extra sur la paie, en nature, dans le village le plus proche. Liesse, violence et fureur, stupeur d'être vivant emplissaient l'air d'un goût âcre.

Alors que les autres s'emparaient de leur dû, lui errait sans but entre cendres et flammes, avec la seule compagnie d'une bouteille de gnôle. Nul combat ici, juste un massacre. Nul plaisir, nulle adrénaline. Un voile gris et fade recouvrait à présent ses sens. Jusqu'à la prochaine fois.

Perdu dans ses pensées, il se planta en face d'une masure qui finissait de se consumer, attiré comme toujours par le feu. Le bois solide dégageait une fumée épaisse, obscurcissant plus encore sa vue déjà brumeuse, emplissant ses poumons de la saveur si particulière des flammes.

Il resta immobile pendant un moment, un long moment ; jusqu'à ce qu'il soit tiré de ses pensées par une ombre, tressaillant dans l'encadrement de la porte à moitié carbonisée. Ses réflexes de prédateur prenant instinctivement le dessus, il balanca aussitôt son pied dans la porte, l'ouvrant à la volée, éclaboussant les alentours d'un feu d'artifice de braises. Sans tenir compte du souffle ardent, il se précipita à l'intérieur, prêt à tout ; ayant l'impression douloureuse qu'il lui manquait quelque chose, et que c'était cette silhouette qui le lui avait pris.

Mais, à l'intérieur, n'attendaient que débris et gravats. Nul orifice, nulle ouverture par où s'enfuir ; nul recoin où se cacher. Grognant de dépit, il écrasa la bouteille contre le chambranle fumant, ne réussissant par ce geste qu'à s'asperger le gantelet d'alcool et à y mettre le feu.


Il ressortit lentement de la masure, hébêté, le regard hypnotisé par les flamèches bleutées courant sur le cuir. C'est dans cet état que le découvrit un groupe de ses frères d'armes.

L'un d'entre eux, plus vaillant ou plus ivre que les autres peut-être, s'approcha en le prenant à partie.

"Haha, regardez les gars ! L'Ezech flambe comme un rôti ! Hé, chien ! T'es demeuré ou quoi ? Putain, t'es sourd en plus ? Tu brûles, gros con !"

Il finit par répondre, ça oui. Vif malgré l'alcool, il fondit sur l'homme, aggrippant sa tête hideuse de sa poigne d'acier. Sa victime commença à hurler et à se débattre, le cuir encore imbibé de feu lui fondant la chair du visage. Mais, trop mal, trop saoûl, trop tard ; il traîna le soudard jusqu'à la porte à moitié consumée et lui fracassa consciencieusement le crâne, jusqu'à l'y encastrer ; un formidable *crac* marquant le moment où bois et os ensemble cédèrent.

Derrière lui, de la monnaie changea aussitôt de mains, ainsi que des rires et jurons.



Sans un regard pour le reste du groupe, qui eu de toute manière la bonne idée de rester à distance, il tituba le long de la route principale du village ; jusqu'à une masure éloignée et épargnée pour l'instant par la fureur du pillage. Harcelé tout du long par des putains de voix d'outretombe, lui murmurant sans arrêt dans les esgourdes, d'un ton si ténu qu'il n'arrivait pas même à comprendre un traître mot. Arrivé sur place, sa seule préoccupation fût de trouver une bouteille d'alcool ; une fois fait, de la vider consciencieusement.

Il s'étendit sur la première paillasse qu'il trouva, incapable de penser au jour suivant.
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Posté le 03/08/2020 à 13:09:07 

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Année 1690.


Il ouvrit péniblement les yeux, aveuglé par la lumière inondant la pièce. Le soleil était déjà haut visiblement. Luttant pour rassembler ses souvenirs, il s'assit et se frotta le visage.

Il se rappelait d'un long couloir sombre. Des ombres mouvantes... Non... Des flammes... Que... Des combats ? Il faillit éclater de rire. Voilà qu'il rêvait de se battre, à présent... Ridicule.

Son regard glissa sur sa chambre, petite mais confort. Légère bouffée de fierté : ça, c'était du bel ouvrage. Les chambranles des portes et fenêtres étaient parfaitement ajustés, et la toiture tiendrait au poil malgré le vent qui pouvait être rude, par ici.

Il remarqua ensuite l'habit suspendu à un crochet dans le mur. De la bien belle étoffe, si belle qu'il ne pourrait jamais se permettre d'acheter de semblable : haut de chausses et pourpoint vert foncé, à manches fendues pour laisser voir la chemise d'un blanc éclatant...  Quelques broderies sobres et élégantes... Bottes neuves...

Il resta regarder le costume de fête pendant quelques secondes sans comprendre, avant d'enfin percuter et de bondir de sa paillasse en gueulant.

"PUTE VÉROLÉE ! Le mariage !!"

Quelques minutes plus tard il courrait comme un dératé sur le chemin menant à l'église. Quel con, mais quel con ! Il allait réussir à rater son propre mariage ! Mais quel con !


Alors qu'il prenait un raccourci par une petite venelle, il lui sembla remarquer plusieurs ombres fugaces se mouvant à ses côtés. Interloqué, il jeta un coup d'oeil sans ralentir ; mais le temps qu'il tourne la tête, le voilà débouchant sur la place du village. Avec tout le monde qui l'y attendait. Bordel...

Les boyaux subitement tordus, il ralentit l'allure en une marche rapide, mais pas trop ; se passa machinalement la main dans les cheveux, et afficha un sourire franc en avançant vers les nombreuses personnes rassemblées. L'air décontracté, tranquille, tout allait bien ! Une bonne partie se mit à rire. Il rougit un peu mais se détendit. S'ils rigolent, ils ne vont pas gueuler, ça va...

Se mêlant au groupe, il reçut force poignées de mains, et tapes amicales dans le dos. Pour la première fois depuis qu'il avait perdu sa famille, il se sentit apprécié, aimé ; il avait enfin trouvé son foyer.


Arrivé à la porte principale de l'église, il pu enfin apercevoir sa promise. Resplendissante dans une robe indigo assortie à son propre costume, ses longs cheveux noirs rassemblés en une savante coiffure... Par contre elle ne rigolait pas. Elle affichait même la moue pincée qu'elle lui réservait lorsqu'il faisait une connerie ou qu'il oubliait un truc. OK, message reçu. Il était dans la merde.

Se glissant souplement près d'elle, il tenta le tout pour le tout : le lourdaud dans toute sa splendeur.

"Mes hommages, charmante demoiselle, si je puis me permettre, vous êtes à couper le souffle ! Oserais-je vous inviter boire un verre ? J'espère que vous n'attendez personne."

Elle resta de marbre quelques secondes, avant d'esquisser finalement un sourire, ses yeux scintillants déjà de bonheur. Ouf ! Sauvé...

"T'es bête, Anxo. Et tu es en retard."

Puis, un instant après, suite à un examen mené d'un oeil critique :

"Toi aussi tu es canon."


La cérémonie passa en un éclair. Déjà qu'à la base il n'était pas super investi dans la lithurgique, alors là... Il passait le plus clair de son temps à jeter des coups d'oeil à sa future. Il faillit même manquer le coche pour l'échange des consentements, déclenchant encore quelques rires dans l'assemblée. La vache, il n'en ratait vraiment pas une aujourd'hui.

Et enfin.. Il pu se tourner vers Hafsa, à présent sa femme. Elle rayonnait, un large sourire éclairant son visage. Ému, il se rapprocha d'elle et effleura sa joue du bout des doigts.

Une vive sensation de brulûre lui remonta jusque dans la main.

Et sous ses yeux horrifiés, ses doigts laissèrent des trainées calcinées sur la joue de la mariée. Les traces se craquelèrent et volèrent en éclats, fines croûtes de cendre soufflées par le vent, et grandissaient, dévoraient le visage de l'aimée, le réduisant à néant lambeau après lambeau.

Il chancela, pris de vertiges. Et alors qu'elle se précipitait sur lui, criant et lui demandant ce qui n'allait pas, les cloches de l'église se mirent à sonner, à chaque coup ébranlant son crâne de leurs vibrations.

*DONG* *DONG* *DONG* *DONG*...
 

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