Le Faux Rhum   

- Pas mauvaise cette volaille ! Cela ne vaut pas le véritable label rouge britannique mais c'est toujours ca. Voyons un peu ce papelard.

- S'approprier quelques bâtisses qui ne leur appartiennent pas  ? Vraiment ?

-Les propriétaires sont tellement négligents de nos jours. Faudra leur écrire à l'occasion...Reprenons.

- Bla, bla, bla, "sang qui coule", gna, gna, gna, " corsaires en colère". Oui, rien de bien nouveau, en somme. Je me demande encore pourquoi on s'ingénie à écrire de telles platitudes par les temps qui courent ? On perçoit bien là l'inanité de ces prétendus gouvernements...

- Si a chaque fois que l'on m'avait promis un sort "peu enviable", j'avais reçu un doublon, eh bien, mhhh je serais encore plus riche que maintenant ?

- En fait non, même à dix doublons la menace on est encore loin du compte !

- Trois nations ? Bon, comme d'habitude, ils se disent unis et dès que l'on gratte un peu la surface, la peinture apparait nettement moins homogène. Rien qu'un peu de corruption et de fausses promesses ne puisse arranger, comme toujours.

S'ils veulent du sang, nous allons leur en donner ! Mais pas de la manière qu'ils espèrent, naturellement. Je pense que la démonstration d'hier au soir a été convaincante...

En deux ans et demi sous le bandeau noir, j'ai vu de bien meilleures démonstrations d'idéalisme naïf. Vous devez sérieusement y mettre du vôtre parce que c'est pas sérieux, les gars. En plus vous allez finir par me vexer. Si je vous donne des conseils je vais perdre ma réputation, vous imaginez ça ?

Non vraiment, allez, juste un peu : rajoutez quelques bannières, vous savez, des trucs mordorés. Bien clinquants, du bel ouvrage qui pète et qui claque. On les verra de la côte, et même Jeannot sur son canot troué voudra-t-y venir découper du bandeau noir pour le Roy qu'il a jamais vu, avec sa vieille gaffe. Son fils l'avait laissée rouiller, il a pas aimé, mais elle fait encore son travail. Vous le visualisez ça, hein ? Tant mieux, parce que des débiles pareils un projet sublime comme ça, ça vous en attire des tripotées. C'est tous que des beaux gars bien frais pendant qu'ils ne pensent qu'au plaisir anticipé de frapper sur les gredins ; on va venger sa tante, sa fille ou son frère, et puis on va toucher des pièces, on va pouvoir manger et baiser des putes. C'est fort. On s'tape dans l'épaule, tu sais, on est tous soldats dans la grande moquerie coloniale. Mais ça, c'est avant de débarquer devant les barricades. Un crétin qui vise mal, et paf ! Sa grenade -fournie par le Contrebandier, ironie du sort- ça vous fauche les guiboles, ton genou se barre et tu retrouve l'os d'au-dessus qui pointe comme un épieu, le blanc sale comme une tache de peinture avec la viande rouge autour. Il voit ça, le gars. Son pote hurle et s'étouffe dans ses glaires, ça pisse le sang.

Il reviendra au camp, peut-être pas trop amoché, en tout cas pas assez pour s'empêcher d'y retourner. Mais avant, il chopera un truc. Sûrement la dysenterie. La chiasse, pour les tarés du fond. On se chie dessus quand on côtoie tous les jours des putains d'attardés de bouseux au campement des recrues. Terrible, ça. Ça se transmet vite, bientôt c'est tout le camp qui souille ses putains de chausses au premier coup de vent. Les gogues, creusées par les putains de boeufs propulsés ingénieurs après une leçon sur comment tenir une putain de pelle, sont à peine finies qu'eux-mêmes baissent leur froc pour remplir leur oeuvre. Ah ça, un sacré hommage. Alors, le gars, le... Comment, déjà ? Jeannot ? Ouais. Il voit tout ça, là. Il lui faudra pas longtemps pour autant cracher sur ses putains de supérieurs de merde que sur ces connards de pirates. Il les a même pas vus encore, trop de fumée. Quel intérêt ?

Bientôt il va se bastonner dans le camp, avec d'autres gars à bout comme lui, à bout parce qu'ils sont obligés de bosser avec ces pédérastes qui s'enfilent de l'eau chaude sans goût et ces abrutis assommés aux herbes. Il les déteste autant que les autres. Plus, même. Un coup de couteau est vite arrivé pendant une rixe, et on retrouve de la tripaille par terre.

Parce que ça finit toujours par éclater. Votre alliance de blaireaux me fait déjà pas peur aujourd'hui. Je vous laisse mariner en imaginant ce que ça donnera dans deux semaines. Si y'a des joueurs parmi vous, je serais heureux de prendre les paris.