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L'Entente Cordiale  
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don Juan de Montalvès
don Juan de Montalvès
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05/01/2007
Posté le 28/08/2018 à 12:47:58. Dernière édition le 28/08/2018 à 12:51:36 


L’hôtel particulier du marquis de Montalvès ressemblait à une fourmilière, l’on descendait des malles solidement harnachées à l’arrière de diligences aux soldes essieux et aux roues ferrées, des cartons à perruques et à chapeaux ficelés et empilés suivaient des coffres aux larges serrures contenant de précieux documents et des bourses d’or. Ce va et vient semblait ne jamais devoir cesser, voyant les laquais en livrée du Grand d’Espagne, rentrer et sortir en deux files d’uniformes verts identiques par les portes principales de l’hôtel particulier donnant sur le perron semé de pierres blanches.

Tout ce petit monde s’activait sous la vigilance de mousquetaires aux chapeaux retroussés, leurs grandes plumes noires au vent, surveillant les abords de la grille des jardins de la riche demeure, leurs capes d’épaule retenues par des cordons dorés autour de leur poitrine, des rapières et un long pistolet à leur ceinture.

A l’entrée du perron, les battants de la grille aux armoiries du ministre espagnol demeuraient entrouvertes pour laisser passer les personnes autorisées triées sur le volet : les fournisseurs connus de la maison, des lavandières portant le linge blanc de Son Excellence, des secrétaires privés qui tous devaient s’identifier auprès d’une douzaine de lansquenets bernois au lourd accent allemand, aux larges morions sur le crâne, plastron renforcé sur le torse et chausses bouffantes de couleurs, leurs puissantes hallebardes à la main. Visiblement, la sécurité autour de la demeure du Marquis avait été renforcé.

Au milieu de cette foule de personnes tentant de s’engouffrer au compte-goutte à travers ce mur humain de gardes suisses, agitant leur laissez-passer, se bousculant et criant leur nom aux mercenaires qui restaient de marbre, s’avança une silhouette élancée et féminine, de noire vêtue. Semblant esquivé le ressasse de cette marée humaine, naviguant au gré des vagues de refus et des rares entrées, cette pâle jeune femme austère et glaciale semblait frôler sans jamais bousculer, avançant gracilement et aisément à travers la houle des solliciteurs jusqu’à arriver devant une montagne de Suisse au visage rugueux encaissé entre son casque et sa collerette.

La jeune femme aux traits impassibles leva ses yeux d’une rare profondeur dans ceux du Lansquenet qui souffla par ses narines de taureau :


-   Werden Sie von Herr Montalves erwartet ?

-   Oui, je suis attendue, répondit d’un ton sec la jeune femme en tendant une lettre cachetée qui fut saisit avec circonspection par le garde qui lut de sa voix rocailleuse :

-  
« Fräulein Dolores » dit-il en se retournant sur son sergent, une autre montagne blonde qui fronça les sourcils et parcourut un parchemin, pointant de son index une colonne de noms écrits à l’encre noire, releva la tête et regarda la jeune femme au col fermé et aux allures strictes d’un air suspicieux avant s’exclamer :

-   Sie stehen nicht auf der Liste ! 
Ce à quoi le premier Lansquenet répondit en bombant le torse et toisant la frêle jeune femme aux cheveux noirs impeccablement tirés en arrière, inclinant légèrement la tête et répétant d’un ton plus menaçant : « Sie stehen nicht auf der Liste… ».

L’Espagnole eut une imperceptible expression passer fugacement sur son air impassible, un frémissement des lèvres, une lueur dans ses yeux…comme si cette réponse négative semblait annoncer quelques événements lui apportant une joie profondément dissimulée, lorsqu’un capitaine de la garde des mousquetaire du Ministre reconnaissant Felicia Dolores, accouru pour éclaircir la situation :

-   Attendez, señores, il s’agit du docteur Felicia Dolores…oui oui…cette dame est attendue par Monsieur de Montalvès.

-   Was ?! s’enquérirent à l’unisson les mercenaires suisses. Le Capitaine espagnol fit une rapide révérence à l’espagnole puis parut chercher ses mots pour faire comprendre à ces têtus Bernois qu’il fallait laisser passer la jeune femme.

- C’est un docteur…Sie…ein Doktor…Sie ist da für Herr Montalves…vous comprenez…eine Doktorin ! Frau Dolores… 

Soudain une lueur de compréhension s’alluma dans le regard des Lansquenets qui échangèrent des regards entendus et gloussant commencèrent à ouvrir les grilles du perron :

-   Ja…wie haben verstanden…Sie ist die « Doktorin » von Herr Montalves…sous-entendit le sergent sous les rires gras des mercenaires qui regardèrent passer l’Espagnole, droite comme un i devant eux, estimant par leurs regards de quelle « médecine » elle était praticienne…

-   « Doctorrra » fit le premier Bernois en saluant du chef sous les éclats de ses camarades, dont un troisième s’approcha toussant exagérément…

-   Komm, Bitte, Ich bin krank…Moi…Malade aussi…Fräulein…besoin…massage !

-   Ca suffit ! leur cria le mousquetaire qui pria la jeune femme de bien vouloir le suivre.

Ce dernier escorta l’Espagnole vers les entrées de l'hôtel particulier sans un mot tandis qu’au loin résonnaient encore les rires des Suisses.   
don Juan de Montalvès
don Juan de Montalvès
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Posté le 28/08/2018 à 13:04:12. Dernière édition le 28/08/2018 à 13:09:33 

Bientôt Felicia arpenta les grands escaliers couverts de tapis menant à l’étage de l’hôtel particulier, aux murs couverts de tableaux et de miroirs jusqu’aux appartement privés du Marquis. Un laquais s’approcha pour lui ouvrir les dernières portes de l’antichambre à franchir avant d’arriver dans un salon richement décoré d’œuvres d’arts, de petits canapés tapissés aux broderies argentés, aux meubles en bois de cerisier, au centre duquel jaillissait une fontaine qui remplissait un espace d’eau sans cesse éclaboussé par les jets sortant de la gueule de grandes carpes de marbre sculpté.  

Le Marquis était assis à un table ovale recouverte d’une nappe immaculée où était servi un faisan rôti et plusieurs plats de divers pâtés, artichauts, plus loin une assiette de langoustine au caviar et cèpe farci accompagné de petits entremets servis sur une table d’appoint : une tourte de tartoufle et truffe noire et un ragoût de champignons sauvages. Devant lui, une série de verre en cristal contenait le vin et les rafraîchissements du dîner du Grand d’Espagne. Montalvès n’avait pas quitté ses beaux atours de soie brodés ni une grosse perruque rousse dont les généreuses boucles finissaient nouées par un ruban noir dans le dos tandis que d’autres larges pans de la perruque tombaient sur ses épaules, des manches couvertes de dentelles abondantes et une mouche collée au coin de son menton complétaient l’accoutrement du riche banquier.  

On lui avait noué une vaste serviette déjà fort tâchée autour du cou et le Marquis ne manquait pas de s’y essuyait alors qu’il décortiquait sa volaille de ses doigts bagués de rubis, puis portant chaque morceaux à ses lèvres fardés de rouge. Autour de lui se tenaient des majordomes portant soit le décanteur de vin, soit le rince-doigts, ou encore un plateau de groseilles à l’eau de rose pour adoucir le repas du maître de maison.  

Lorsqu’il aperçut la mine sévère de l’Espagnole aux habits sombres et sobres, il ne put retenir un recul d’étonnement et une exclamation amusée en jetant une œillade perfide à son invitée :  

-   Ma chère, vous ressemblez à une tragédie grecque ! *ricana le Marquis en plongeant ses doigts graisseux dans l’eau de rinçage*  

-   Et vous, à une farce italienne ! *répondit directement Felicia, ce qui coupa net le rire faux du Marquis et effaça le sourire de son visage poudré*.  

Il manqua de s’étouffer et lança un regard noir tandis qu’il levait son grand verre vide à son laquais le plus proche, lequel s’en saisit et le porta au sommelier qui le rinça, l’essuya et le remplit à nouveau de vin, repassant le verre au laquais qui l’apporta au premier majordome qui finit par le remettre au Marquis. Ce dernier, sans cesser de fusiller Felicia du regard, porta le cristal à ses lèvres rouges pour boire une petite gorgée tandis que ses serviteurs annonçaient à l’unisson d’une voix forte : « Monsieur le Grand boit ! »  

Montalvès reposa son verre et continua de scrupuleusement décortiquer le faisan, tout en s’adressant à l’Espagnole.  

-    Si je vous ai fais venir aujourd’hui c’est que j’ai une nouvelle mission à vous confier. Comme vous m’avez utilement servi dans notre petite affaire française, je crois bon d’user, à nouveau, de vos talents diplomatiques lors de mon prochain déplacement à New Kingston.  

Le Marquis dégusta la tranche de pâté qu’on venait de lui découper tandis qu’il discourait, prenant un instant pour mastiquer avant de continuer :  

-    Vous n’êtes pas sans savoir que les intérêts de l’Espagne commandent un rapprochement avec nos voisins anglais. Les premiers échanges de courriers avec leurs autorités laissent entrevoir une perspective intéressante concernant notre sécurité commune, nos intérêts financiers en Angleterre mais surtout les désordres permanents qui règnent dans le sud menacent toujours de déborder les autres colonies de l’île !  

Montalvès essuya ses mains dans sa large serviette avant d’agripper un morceau de tourte et de le rompre pour porter à sa bouche un petit morceau après l’autre, ponctuant son flot de paroles.  

-    Il suffit…d’un illettré amateur de rôtis arrive au pouvoir à Port-Louis…pour qu’immédiatement ils se croient obligés de s’accaparer de toutes les tours de garde…un intendant hollandais a trop forcé sur….la fumette…ou ils élisent un grabataire qui se croit à l’époque de la plomberie…pour voir toute ce petit monde avoir des hallucinations…et des rêves de drogués ! Croyez-m’en, le temps est à l’orage, ma chère, à l’orage et il nous faut des sûretés afin d’empêcher le navire de sombrer avec l’île toute entière !  

Felicia regardait Montalvès parler longuement, tournant aussi fort que le moulin à vent de don Quichotte en se disant que cette homme-là devait beaucoup aimer s’entendre parler…elle laissa son esprit flâner à ses propres réflexions lorsqu’un nom ramena l’attention de l’Espagne sir la logorrhée du Marquis.  

-    Maximilien Dejais est peut-être fantasque et un peu trop malin pour son propre bien mais il a de la suite dans ses idées, ce qui représente tout de même de l’intérêt ! Il a un peu trop la manie des décrets à mon goût, mais nous allons lui concocter un beau traité qui lui permettra de poursuivre sa folie douce contre les forbans, les flibustiers et autres graines de pendus qu’il y a sur cette île et nous trouverons chez les Anglais une force d’appoint contre tous ceux qui menacent l’ordre établi dans les Caraïbes…  

-    Mais monsieur le ministre, je ne vois pas en quoi je pourrai vous servir ?  

Le Marquis eut un sourire mauvais en arrachant la serviette nouée autour de son cou ; mouvement qui mit en branle toute son aéropage de laquais qui retirèrent sa chaise, commencèrent à débarrasser la table et remettre en place la veste du marquis tandis que celui-ci se dirigeait vers un secrétaire duquel il tira une lettre de référence d’un tiroir.  

-    On m’a rapporté…votre proximité…avec l’intendant anglais. Vous le connaissez bien, vous avez eu l’occasion…de l’approcher, je suppose…enfin si c’est le genre d’homme à aimer le charme…*Montalvès chercha des mots alternatifs à « frigide », « glacial », « cassant », puis opta pour*…mystérieux qui émane de vous.  

Felicia Dolores ouvrit de grands yeux, prête à remettre le Marquis à sa place, lorsque celui exhiba la lettre de référence qu’il avait sorti de son secrétaire.  

-    Vous êtes nommée Ambassadeur espagnol extraordinaire auprès de l’Angleterre, voyez que tout est prévu, réglé comme du papier à musique ! Ma symphonie…douce, mélodieuse, ordonnée…que j’entends faire jouer sur toute l’île…  

Felicia voulu intervenir, mais le Marquis enchaîna, les yeux rivés sur une carte de Liberty encadrée au mur.  

-   Face à toute cette cacophonie où chacun croit avoir son mot à dire sur le gouvernement de l’île et se permet toutes les impertinences et les audaces par simple caprice ou par…esprit de révolte, voire révolutionnaire ! *Le Ministre plissa les yeux vers un lieu bien spécifique de la carte richement détaillée*  

-    *Se retournant sur Felicia* Madame l’Ambassadeur, nous partons aujourd’hui même pour la capitale coloniale anglaise ! Mon carrosse de voyage nous attend aux écuries, vous verrez vous y trouverez tout le confort pour un si long voyage…mais aurait-on pu rêver meilleure compagnie pour un tel périple ? 
Felicia Dolorès
Felicia Dolorès
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Posté le 28/08/2018 à 18:05:17 

Il y avait une bonne paire d’années qu’elle n’avait pénétré tel domaine. Son regard caressait avec approbation la décoration des pièces qu’elle traversait et les broderies qu’elle effleurait du bout de ses gants de soie la mettaient fort à l’aise. Elle était friande du luxe pour avoir vécu dedans depuis son enfance. Elle retrouvait ici un élément fort agréable qui confirmait le maigre espoir que Liberty n’abritait pas que des sauvages et des barbares, Dieu soit loué. Les miroirs renvoyaient une peau dont la pâleur était accentuée à la poudre blanche. Son chignon noir serré de nombreuses pinces faisait écho à son rouge à lèvre mélangeant la poudre de trois rubis et d’un jais.  Son corset affreusement serré sous la robe lui donnait une taille maigre et une presque absence de poitrine. Son dos était raide et ses pas étaient droits. En pénétrant dans la dernière salle, elle cessa de relier le décor à son passé pour concentrer directement son regard sombre sur l’homme d’intérêt. Elle eut durant un bref instant une pensée pour son géniteur à qui le banquier lui fit penser. Elle le salua d’une façon si respectueuse qu’il était aisé de comprendre que c’était ancré dans son éducation.
 
« Ma chère, vous ressemblez à une tragédie grecque ! »
« Et vous, à une farce italienne. »
 
Elle avait pris sur elle pour articuler ces mots lentement et de la façon la plus claire possible. Ceux qui la connaissaient savaient pourquoi. Les mains jointes devant elle en signe d’écoute, elle resta terriblement attentive à la suite. Il devait aimer s’entendre parler mais n’était-ce pas le narcissisme des hommes les plus influents de tout continent et de toute époque ? Ce monde était sien, elle n’en éprouvait plus la surprise d’y croiser ses normes. Elle partageait sans nul doute l’avis du grand banquier sur beaucoup d’opinions énoncées. Les choix d’élus de la Hollande laissaient fort à désirer mais elle ne pouvait s’en plaindre, pour avoir élus sa petite protégée quelques mois de suite. Quant à la France, ils semblent en effet se complaire dans une forme de barbarie qui leur convient.
 
À la mention de Maximilien, quelques tapotements de ses doigts sur le dos de sa main signifient qu’elle a toute l’attention du puissant marquis. Cet anglais avait ses quartiers dans l’Institut ouvert par la Dolorès. Il avait la main mise et le monopole même sur l’un de ses précieux sujets d’expérience, un secret qui ravirait le ministre si ce dernier s’y intéressait. Qu’importe ce qu’il pouvait croire sur la relation entre l’intendant anglais et la doctoresse, il avait raison de prétendre qu’un lien subsistait. Quelque chose de professionnel et de purement intéressé des deux côtés.
Elle laissait dire. Sa réputation de frigide n’était plus à refaire et personne ne pouvait croire qu’elle s’acoquinait avec la moindre créature. Elle avait d’autres fillettes à fouetter.
Le titre d’Ambassadrice auprès de l’Angleterre n’était guère déplaisant en soi. Mais prendre cette décision sans la concerter l’était. D’un regard noir, elle n’eut pas l’occasion de protester car la tirade n’était pas terminée. Un court instant de réflexion s’ensuivit à l’annonce du départ. Elle avait son propre cheminement et son ambition personnelle pouvait aisément s’accorder à cela.
 
Aussi, elle inclina sa tête avec respect. Elle devra s’affairer à quelques missives avant d’arriver au sein de la colonie anglaise.
Intendant Maximilien
Intendant Maximilien
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Posté le 01/09/2018 à 00:22:05. Dernière édition le 01/09/2018 à 00:25:51 

La capitainerie, quelques jours plus tôt

Investie depuis bientôt trois mois par l'Angleterre et ses alliés, la capitainerie avait progressivement été aménagée par ses occupants afin d'en faire un lieue habitable et fonctionnel. Dans un coin un peu à l'écart, planqué derrière la bibliothèque, l'état-major britannique se réunissait chaque matin afin de faire les compte-rendu de la journée.

Ce jour là, Sir Assashin, Red Frag et Maximilien sirotaient tranquillement, respectivement une tasse de thé-camomille et une bouteille de café dilué dans l'alcool des mort et une infusion aux champignons, pour bien commencer la journée. En somme, on s'ennuyait doucement quand un valet du Palais se présenta au groupe, une missive à la main qu'il présenta à l'intendant.

- Une lettre de lady Dolorès, Sir.

Max hocha la tête en souriant. Bonnes nouvelles ? Sans doute, l'espagnole était toujours force de bonnes surprises.

- Merci mon brave, prudence sur le chemin du retour ces cavernes sont trompeuses et remplies de monstres.

Il s'empara d'un coupe-papier et fit mine de décacheter la lettre quand Frag l'interrompit d'une toux prudente.

- Vous avez vérifié qu'elle n'était pas empoisonnée ?

Max arrêta son geste, fronçant les sourcils.

- Mais pourquoi voulez vous qu'elle le soit ?

- Nous parlons bien de Félicia Dolorès...?

- J'espère bien qu'elle l'est, alors, nous travaillons sur un nouveau projet de grenade bactériologique, vous verrez, c'est formidable, ça vous tue un chat en quinze jour, on n'a rien fait de plus efficace depuis le cyanure dans les croquettes et le négligent coup de pied du haut du balcon !

Laissant Frag à sa boisson, il parcouru la missive avec intérêt, en fronçant les sourcils.

- Une contrariété, Max ?

- Difficile à dire, en fait.

- Les Espagnols prévoient à nouveau de déclarer la guerre ?

- Pire, on dirait qu'ils veulent apaiser les tensions.
don Juan de Montalvès
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Posté le 20/09/2018 à 23:39:45. Dernière édition le 20/09/2018 à 23:41:40 

Le carrosse aux armoiries du marquis de Montalvès roulait à vive allure sur les chemins poussiéreux et sinueux qui serpentaient à l’orée de la jungle et des lagons de l’île. Dans la nuit sombre de Liberty, on pouvait apercevoir les lueurs de la lune sur les cuirasses des cavaliers armés qui ouvraient et fermaient la marche de la voiture du ministre espagnol. On devinait sa course par les bougies allumées à ses lanternes suspendues aux côtés du cocher qui faisait claquer son fouet au-dessus des six chevaux qui galopaient avec appréhension dans les ténèbres d’une nuit aux teintes de velours.  
Montalvès n’avait guère voulu différer davantage sa visite dans la capitale coloniale anglaise, de sorte que le périple ne cessa pas pour passer la nuit dans quelques auberges faites de bric et de broc que l’on pouvait rencontrer à la croisée des routes rares, boueuses et accidentées de Liberty.  

A l’intérieur du carrosse qui balançait ses occupants au gré des irrégularités du chemin, prenaient place deux personnages enveloppés dans de larges manteaux de voyage, mais lorsque les filets de lumière nocturne filtraient au-travers des carreaux et des lourdes tentures des portières du véhicule, on reconnaissait les traits poudrés d’un marquis emmitouflé dans des habits sombres recouvrant ses dentelles, se réveillant à chaque mouvements brusques, ouvrant de grand yeux avant que ses paupières ne se referment lentement, doucement au son répétitif de roues s’enfonçant dans la terre meuble et humide des Caraïbes, jusqu’au prochain à-coup qui le faisait sursauter à nouveau. Obstinément, il remettait sa perruque blonde sur le sommet de son crâne, lissait ses moustaches noires en croc de ses doigts gantés et serrait sa canne à pommeau d’argent contre lui, sombrant à nouveau dans son sommeil sans cesse interrompu.  

En face de lui, la doctoresse espagnole, Félicia Dolores, dormait imperturbable, droite et immobile, semblant épouser naturellement les mouvements chaotiques de la voiture ; vêtue sobrement de son éternelle redingote boutonnée jusqu’au col, elle avait pour toute fantaisie un chapeau noir, à ruban pourpre dans lequel était fiché une plume de paon. Des bottines de cuir brun sortaient de sa robe basse qui lui arrivait pratiquement jusqu’aux chevilles, le tout recouvert par une couverture de fourrure.  
Nulle lanterne n’éclairait l’intérieur du carrosse de sorte qu’il régnait une obscurité dense qui n’était percée que par l’intrusion fugace mais intense de la lune à la faveur du balancement du véhicule.  

L’un de ces soubresauts, plus violents que les autres causés par une grande roue passant au-dessus d’une racine finit de réveiller tout à fait le Marquis qui grommela contre son cocher en frappant du poing contre le toit du carrosse. D’un geste rageur il tira un rideau pour apercevoir les reflets de la nuit sur les eaux troubles d’un marais sur les rives duquel passait son carrosse. Au loin, il pouvait voir la masse sombre et inquiétante de la jungle et au-dessus de la surface, des nuages noirs glisser avec lenteur dans l’immensité du ciel.  

Il ressentit un frisson et voulu refermer la tenture lorsque, en se retournant il découvrir le visage pâle et tranquille de l’Espagnole. Un petit sourire mauvais se dessina sur ses lèvres passées au rouge et des lueurs libidineuses scintillèrent dans ses petits yeux sournois. Le Marquis saisit sa canne avec délicatesse et avec une infinie précaution en approcha les bords de la robe de Félicia Dolorès, puis leva doucement sa canne pour tenter de découvrir les jambes de l’Espagnole lorsque le cliquetis d’un pistolet que l’on arme retentit dans l’intérieur du carrosse.  Le Marquis porta la main qui empoignait sa canne vers sa bouche et fut pris d’une petite toux aigue, détourna mécaniquement sa tête vers la vitre pour admirer un paysage d’ombres qui sembla retenir toute son attention, puis levant les yeux vers la lune pourpre qui émergeait d’entre les nuages, le Marquis s’exclama :

- « Mais que c’est rouge… »
don Juan de Montalvès
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Posté le 25/09/2018 à 18:39:18. Dernière édition le 25/09/2018 à 19:05:51 

Dans un salon élégant du palais du gouverneur de New Kingston, un nuage de poudre parfumée en suspension s’élevait lentement vers les plafonds peints et décorés tandis que des musiciens entamaient les premiers notes de la 4ème entrée du ballet « Les Indes galantes », dite entrée des « Sauvages », de Jean-Philippe Rameau, représentants un chœur de natifs amazoniens. Le ténor et la cantatrice sont vêtus des habits de cour, de dentelles et broderies, mais des plumes d’oiseaux exotiques sont fichés dans leurs perruques et des palmes sont cossues à leurs pourpoint et robe à baleine pour figurer les Indiens d’Amazonie.  

Devant les artistes, des sièges sont occupés par les dignitaires de la cité et la délégation espagnole. Le jeune Maximilien dans son uniforme d’intendant ressemblant aux tuniques rouges des Royal Guards mais avec l’élégance d’un membre de la gentry anglaise, une perruque légère posée à même ses cheveux qui laissent deviner ses boucles blondes et finissant par un ruban noir les nouant derrière sa nuque, les médailles de sa fonction ordonnées sur sa poitrine, il tape des doigts sur le bras de son fauteuil et jette des regards à son voisin qui faisait tourner le pommeau de sa canne sur son axe, disparaissant sous des couches de soie et de rubans, de boucles poudrées lourdes et brunes tombant lourdement sur sa poitrine et ses épaules. Montalvès remarque du coin de l’œil, qu’on l’observe et le marquis se retourne vers l’Anglais, pinçant ses lèvres couvertes de rouge et affectant un sourire en coin, plissant les yeux.  

Derrière les deux aristocrates, se tiennent debout, les ambassadeurs, officiers royaux, nobles dames et courtisans des colonies, fardés et armés d’éventails et d’épées d’apparat, parmi lesquels circulaient des laquais en livrée portant des plateaux de macarons en pyramide et autres délicatesses offertes aux personnes de qualité.  

Le Marquis se pencha vers Maximilien :  

-         Quelle plaisante surprise que cet opéra-ballet, mon cher…such a superb idea ! Si nos sauvages à nous pouvaient être aussi civilisés que ceux de Monsieur Rameau !  

Les chanteurs s’approchèrent, se tenant par leurs mains poudrées et baguées, elle tenant un bouquet de fleurs colorées et lui tenant un arc pour finir d’imiter à la perfection les Indiens du Nouveau Monde.  

https://www.youtube.com/watch?v=C8YQDlSkiKA

« Forêts paisibles, Jamais un vain désir ne trouble ici nos cœurs.
S’ils sont sensibles, Fortune, ce n’est pas au prix de tes faveurs.  

Dans nos retraites, Grandeur, ne viens jamais offrir de tes faux attraits !
Ciel, tu les as faites pour l’innocence et pour la paix.
Jouissons dans nos asiles,
Jouissons des biens tranquilles !
Ah ! Peut-on être heureux,
Quand on forme d’autres vœux ? »  

-         Bravo ! s’exclama le Ministre espagnol suivit par les courtisans applaudissant avec mesure. Enfin de bons sauvages ! Et nous qui pensions que l’on devait conquérir ce nouveau monde avec des lames et des canons…alors qu’il suffisait d’un orchestre !  

Don Juan de Montalvès se mit à rire entraînant celui des invités tandis que les chanteurs et musiciens saluaient, puis il saisit une flûte de vin de Champagne et trinqua : « Aux Peaux-rouges et aux bons sauvages ! ».  

Maximilien Dejais s’inclina vers le Marquis et lui proposa de quitter quelque temps l’assemblée pour discuter du traité d’Entente cordiale devant un souper.  

Quelques instants plus tard, l’intendant anglais et le ministre espagnol se retrouvèrent autour d’une table richement dressés alors qu’apparurent des laquais apportant un gros faisan chassé dans la matinée et réarrangé avec son plumage et des ornements pour le plaisir des yeux et de l’appétit.  

Le Marquis suivit le dernier vol de l’animal jusqu’à ce que l’assiette se fut posée devant lui, avec des lueurs gourmandes dans les yeux.  

-         Mon cher Maximilien, appellerons-nous ce faisan : « Révolution » afin que nous puissions le dévorer à pleines dents !
-         N’avez-vous pas peur que cette volaille-ci n’est trop le goût du gouda ?
-         Le ministre leva son verre et trinqua avec l’Anglais : « nous trouverons bien à l’assaisonner selon notre goût ! »  

Montalvès découpa un morceau de l’oiseau avant d’en avaler goulument des petites bouchées. Il marqua une pause pour savourer cette table de chasse avant de reprendre :  

-         Cette misérable insurrection aussi ridicule qu’immorale nous donne néanmoins l’occasion de mettre en place effectivement notre traité d’Entente Cordiale entre nos deux colonies. Comme je vous l’avais écrit, l’Espagne souhaite entretenir les meilleurs rapports avec ses voisins anglais. Nous avons été fort déçus que ni la France ni la Hollande n’ont respecté notre neutralité durant leur guerre et ont prouvé leur duplicité…  

Il convient donc de nous prémunir contre leurs incessantes volontés belliqueuses…il n’est nul besoin de vous rappeler les exactions françaises et leur agressivité naturelle pour vous en convaincre.  
Aujourd’hui, voyez le pauvre état de la colonie hollandaise, prise en otage par une poignée de sans-culottes et de gibiers de potence, traîtres à Guillaume III d’Orange. Comme vous avez eu raison, mon cher Maximilien, de nous avertir des intrigues de cette racaille qui va sans doute donner la main à la piraterie, cette engeance ! Leur place n’est pas à nos côtés mais bien à se balancer au bout d’une corde…  

Le gouvernement espagnol estime que plusieurs mesures doivent être prises pour remettre renforcer nos liens et surtout ramener l’ordre et la paix à Ulüngen.  

Le Ministre espagnol se tut un instant pour observer son interlocuteur qu’il estimait jeune et fougueux, facilement gagné par des propositions guerrières mais il ne fallait pas négliger d’autres aspects tout aussi essentiels…  

-         En ce qui concerne les relations anglo-espagnoles, nous souhaitons que soient évités les affrontements entre nos ressortissants ou toute tentative de prise de tours et encore moins de pillages entre nous…cela vaut aussi pour l’éventuelle aide que l’une des parties pourrait envisager de porter à nos ennemis : nous ne souhaitons pas voir se reproduire l’accident récent à la Madonne.  

Nous vous laisserons les mains libres avec la France, si vous souhaitez en rabattre à leur arrogance, nous n’en voyons rien à redire. Il est bon que la France soit ramenée de temps à autre à plus d’humilité.  

Concernant le commerce anglais…nous connaissons tous l’état du commerce anglais bien que vous soyez la seconde nation la plus riche de l’île, après l’Espagne, vos moyens de ravitaillement à bon prix sont limités…l’Espagne se propose de vous aider à offrir le meilleur équipement à vos compatriotes pour leurs commandes les plus difficiles. Cet accord peut aussi contenir le principe d’un échange ponctuel de nos tours pour permettre à nos commerçants de s’approvisionner en marchandises inaccessibles sans un affrontement armé.  

Le Marquis bu une gorgée de vin en ayant un petit sourire en coin, sachant qu’il apportait ensuite la cerise sur le pudding…

-         Enfin, concernant les rebelles hollandais et l’insurrection en cours actuellement à Ulüngen, il est du devoir de toute nation fidèle à son roi et aux valeurs de notre siècle de mâter et de faire un exemple fort de tous ceux qui cherchent à faire régner l’anarchie sur cette île.  

Nous devons nous assurer que les loyalistes hollandais reprennent le contrôle de leur cité, mais au-delà, il faut nous prémunir contre la propagation de ces idées immorales et séditieuses. C’est pourquoi, nous proposons que notre Entente Cordiale contienne une dernière clause : le droit d’ingérence de l’Angleterre et de l’Espagne dans les colonies qui se soulèveraient contre leur roi et la constitution d’un corps expéditionnaire pour ramener la paix et l’ordre dans la colonies rebelle.  

Si les rebelles ne déposent pas le commandement de la cité d’Ulüngen et ne se rendent pas à la justice de leur Etat, nous nous réservons le droit d’intervenir, d’occuper la cité et d’en chasser par les armes les misérables fauteurs de troubles afin de restaurer les autorités légitimes et légales.  

L’ordre doit régner à Ulüngen, même si cela signifie en faire un tas de ruines.  

Montalvès eut un sourire mauvais avant de replacer sa serviette sur son col et de continuer son souper comme s’il avait fait une remarque polie sur le temps qu’il faisait à New Kingston.
Mad Maximilien
Mad Maximilien
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Posté le 28/09/2018 à 18:22:08. Dernière édition le 28/09/2018 à 18:25:29 

On avait mis les petits plats dans les gros et les gros dans des encore plus gros ce qui donnait à chaque nouveau service des allures de pièce montée. Mais à mesure qu'avançait la soirée, échangeant quelques bons mots polis et dégustant les meilleurs mets des caraïbes importés parfois jusque spécialement pour l'occasion, les assiettes disparaissaient progressivement, emportées les uns après les autres, si bien qu'à la fin il n'en resta plus qu'une, ronde et large, plate comme un discours creux, et tous surent qu'il était temps de discuter affaire.

Lord Montalvès était un homme important mais surtout l'un des rares espagnols a vraiment savoir apprécier le plaisir immoral du luxe et du faste, ce qui n'était pas pour déplaire au Fou, fatigué de devoir supporter Walter qui mettait les pieds sur la table, Diego qui devait coucher avec ses livres de droit ou Sam Ouraï qu'on aurait plus naturellement vu pendu au bout d'une corde que vivant au bout d'une table des négociations. Laissant proposer le Marquis, car après tout il était à l'initiative de tout cela, Max tâcha de se montrer poli en lui remplissant régulièrement son verre pour l'encourager à causer et boire suffisamment.

- Mon cher Marquis, je dois vous dire que ce genre de diplomatie commençait à me manquer. Figurez-vous que je discutais avec Sir Pantaléon de Port-Louis pas plus tard qu'hier, sur des questions de politique général et de prises de tour. Oh, bien sûr, les mots étaient cordiaux voire parfois teintés de quelques sous-entendus habiles, mais enfin, nom de Dieu, et le plaisir dans tout cela ?

Disant cela, Maximilien goba une olive espagnole qu'on avait fait importer pour satisfaire le Marquis et lui évoquer des saveurs plus locales.

- A lourdes responsabilités s'imposent de promotionnelles joyeusetés. Vous pensez que Louis XIV faisait sa paperasse tout seul ? Bien sûr que non, on en deviendrait fou... enfin.

Il fit signe de desservir pendant que Montalvès discourait.

- Parlons plus sérieusement, vous avez raison.

Le jeune homme pris un air plus grave qu'on lui savait plus rare. les événements de ces derniers jours se précipitaient et il ne fallait pas tarder à réagir.

- Il serait folie que de parler alliance et compromis sans évoquer le passif de nos deux nations. Maintes fois déchirées, maintes fois insultées, humiliées même. Nos concitoyens en garde encore rancunes et face à cela, nos pouvoirs sont limités. Oh, distribuons autorisations et signons décrets, que cela n'empêchera jamais les plus vindicatifs de tendre des guet-apens dans les ruelles ou de profiter de l’anonymat d'une jungle pour assassiner un ennemi de longue date.

Se disant son ton se faisait lugubre et alors que l'ambiance était sur le point d'être entachée, le Fou reprit, souriant.

- Voila pourquoi il nous faut une bonne guerre ! Et ces rebelles hollandais tombent à point nommé, si vous voulez mon avis !

Il resservit le Marquis.

- Oh, bien sûr, certains chez vous objecterons qu'à vous nous les avons préféré, fut un temps, mais diable, c'est du passé et la situation d'hier n'est pas celle d'aujourd'hui. Tous nous préférons un allié fiable à des promesses sans assurances, vous en conviendrez. Mais ne ressassons pas le passé, voulez-vous ?

Après concertation avec Sir Holmes, ce brave homme, nous avons pu trouver un terrain d'entente pour le commerce extérieur, notamment concernant les subtiles questions d'embargo commercial qui trop souvent à mon goût minent le commerce et gêne le développement de nos comptoirs.

D'ailleurs...

Il fit renvoyer les valets.

- Là où les brigands de Hollande n'ont pas totalement tort, c'est dans les taxes et les impératifs dictés par les métropoles. Liberty est riche, si on sait l'exploiter, et si confiance il y avait entre Epesranza et New Kingston, nul doute que nous pourrions convenir de, hum, comment dire privilégier le libre échange entre nos deux cités à l'implicite condition que cela reste discret, of course.

Passées ces concessions, discutons plutôt de l'avenir de la Hollande, voulez-vous ?

Maximilien hocha la tête à plusieurs reprises en écoutant son homologue pour finalement renchérir.

- Je vous rejoins sur ce droit, qui devrait de toute manière s'imposer de lui même lorsque les hommes manquent à leur devoir envers nos valeurs les plus profondes.

Néanmoins, gardons à l'esprit que nous ne savons guère de quoi demain sera faite, si véritablement nous voyons débarquer sur Liberty soldats et gredins pour la transformer en champ de bataille.

Il serait intolérable qu'Ulungen devienne un repère à racaille qui y verrait une place propice pour dispenser leur dangereuse idéologie. Si l'ordre venait à ne pas être retrouvé, nous devons envisager une occupation des lieux, le temps que la ville se réorganise.
 

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