Le Faux Rhum   

PORT-LOUIS !

(Coucou.)

 

Je suis venu te rendre une petite visite, ma douce, car il fallait que je vérifie si les bruits qui courent étaient fondés.

Tu serais, m'a t'on rapporté, en proie à des querelles intestines qui empêchent ton bon fonctionnement ?

 

Déjà, j'avais cru dénoter un certain dysfonctionnement lorsque, lors de notre venue à Louis Le Grand, mes nouveaux compatriotes et moi n'avions trouvé aucune résistance. Mais il était encore trop tôt pour en tirer d'alarmantes conclusions quant à ton état de santé. Aussi ai-je exhorté mes concitoyens à pousser l'investigation un peu plus loin, c'est pourquoi, ce soir, nous avons décider d'arpenter tes venelles afin de sonder la populace. 

 

Et je dois t'avouer qu'en descendant tes ruelles comme tes rares défenseurs, mon ressentiment est, comme la lune, à son zénith.

Car je suis en colère, Port-Louis, et ce, d'abord contre moi-même.

 

Car je vois bien que, depuis que je t'ai quittée, tu n'es plus la même. Alors qu'il y a peu, en ton sein, les légendes d'hier côtoyaient les élites de demain, tu ne ressembles aujourd'hui plus qu'à un cloaque où la banalité se mêle à l'imperfection. Ce départ me coûtait déjà - peut-être moins qu'à toi et la FNAC, cela dit -, mais de voir que tu es tombée aussi bas rend la chose encore plus amère.

La responsabilité m'en revient, car j'aurais dû prévoir que le vide laissé par le départ de ton charismatique leader - oui, je parle de moi - ne saurait déboucher sur l'émergence d'une nouvelle figure de proue tant la comparaison serait lourde à porter.

 

Et pourtant, ce navigateur qui se proposait de tenir la barre après ma défection, tu l'avais.

Mais, trois fois hélas, tu n'as su le voir ni même l'écouter. En ça, je suis fâché tout rouge - mon teint tire sur l'orange, du coup - contre toi, Port-Louis.

 

Car cette énergie que tes ressortissants déploient les uns contre les autres auraient pu être utilisée contre nous.

Car cette débandade aurait pu être évitée si tu avais choisi de te rallier derrière la bonne personne.

Car je n'ai pas de mots pour décrire l'amertume qui me gagne devant l'étendue de ce potentiel gâché.

 

Si seulement tu avais eu le discernement de voir que mon remplaçant naturel n'était autre que celui qui se démène corps et âme pour le rayonnement de ta colonie...

 

Mais après Jax, il a fallu que tu choisisses de t'en remettre à Faye - qui est plutôt connue pour ses opérations portes ouvertes que pour sa capacité à repousser les gens, qu'on se le dise - concernant ta défense.

À croire que tu ne tires pas de leçons de tes erreurs.

 

Aussi, vois cette ingérence comme l'acte désespéré de ton ancien concubin qui voudrait te faire entendre raison : tu vas mal, Port-Louis, et tu dois te ressaisir.

Oh, Lady Faye !

C'est que je ne vous aurais presque pas reconnue, sous ces grands airs que vous vous donnez.

Néanmoins, je trouve troublant que vous vous attardiez sur un éventuel manque de politesse alors même que je n'ai pas entendu le moindre mot d'excuses de votre part quand j'ai failli me casser la margoulette en glissant dans votre flaque de sang.

(Et pourtant, en ma qualité de banane, laissez-moi vous dire que la glissade, ça me connaît.)

Un partout, la balle au centre ?

Et bien non, cher amie, trois fois non.

(Non non non, donc.)

(Sauf si l'on prend en compte les deux précédents, auquel cas j'en serais à cinq.)

(En fait de mathématiques , c'est un sacré problème.)

Car, si la politesse est un sujet somme toute important, elle paraît bien triviale quand elle est mise à côté d'un mal bien pire dont vous faîtes preuve depuis quelques temps. Je parle bien évidemment de votre sectarisme primaire qui confinerait presque au racisme, ma douce, quand je vois que vous rejetez tout bonnement les clients en vous basant sur leur appartenance ethnique.

Aussi, pardonnez-moi si je vous laisse vous draper dans votre dignité et votre vertu.

Je serai juste à côté, en train de ricaner de votre hypocrisie.